Ne rien attendre en retour

Ce matin, visite dans le service au chevet de nos chers patients!

Telles des chenilles processionnaires, notre petit groupe composé de l'interne en médecine, l'infirmière, l'étudiante en médecine (externe on appelle ça), l'élève infirmière et Moi-Même progresse  majestueusement de chambre en chambre. Il ne manque dans cette procession digne d'un chemin de croix, que Dieu le Père.

Le Pr Dieu le Père, c'est mon autre chef. Une espèce de Dr House avec un cynisme et un second degré à toute épreuve, dont on ne sait jamais si c'est du lard ou du cochon. La cinquantaine, grisonnant et légèrement bedonnant, il a l'art de transfigurer les patients une fois sorti de la chambre. Ils ont vu Dieu, ils peuvent maintenant mourir en paix...

Il manque aussi Harley Quinn. C'est la cadre de santé du service, l'infirmière en chef quoi. Elle a un regard perçant et cruel qui pétrifie façon Méduse, mais ce n'est qu'une carapace, comme en ont plein de gens au boulot. Une fausse méchante en fait. Et donc heureusement qu'il n'y avait pas Harley Quinn et Dieu le Père, dans notre grande visite, sinon je ne sais pas comment on aurait pu fermer les portes des chambres avec tout ce monde dedans!

Nous arrivons donc à la chambre de M. Angoissé, que nous visitons tous les matins. Pas tous ensemble, la grande visite c'est une fois par semaine; mais il y a au moins l'interne et/ou moi. Et M. Angoissé d'exprimer son angoisse profonde et son mécontentement.

"- Oh? Que se passe-t-il, M. Angoissé?

"- Et bien il se passe, que ça fait dix jours que je suis là. Et en dix jours, je n'ai pas vu une seule fois le docteur!"

Médusée, je regarde l'interne, l'interne me regarde, je regarde l'infirmière, qui est morte de rire. Nous regardons le patient, drapé dans son indignation absolue devant ce système hospitalier défaillant.

"- Euh... Mais M. Angoissé, depuis dix jours, vous avez vu le Dr Poochy (l'interne) et moi-même,tous les jours depuis que vous êtes là. Peut-être pas le samedi et le dimanche hein, parce que ces jours là on se repose, mais bon...."

"- Oui mais je voulais voir le vrai docteur, le Dr Dieu le Père".

Je ne me suis pas vexée, j'ai l'habitude. C'est le lot commun de tous les jeunes médecins, internes et assistants dans les services hospitaliers universitaires. Ce sont eux qui se collent au suivi quotidien des patients, les soignent, les connaissent comme leur poche... Et ces ingrats de patients n'ont d'yeux que pour les Dieu le Père et consort. Cette loose!

Le fait est qu'un patient, finalement, ne veut pas tant être bien soigné. Il veut avoir un médecin répondant aux représentations qu'il a du Docteur. Et pour beaucoup de patients, surtout passé un certain âge, le Docteur c'est un HOMME, de préférence aux cheveux gris et bedonnant. Il ne faudrait pas leur dire que de plus en plus de femmes traînent sur les bancs de la fac de médecine, quitte à être majoritaires dans la profession. Ce serait trop violent pour leur coeur...

Par conséquent, il ne faut rien attendre en retour quand on est médecin. On n'aura pas forcément la reconnaissance que l'on espère.

J'apprends à me conditionner à cela, mais je suis du genre à dire du mal des mères des automobilistes que je laisse passer et qui ne me font même pas un signe du genre merci. Alors forcément, ce n'est pas simple...

Comments

[An]

Je suis pas sûre que c'était un angoissé, tel que tu le décris, ou bien mieux un pur et simple parano pénible... hélas
Bon courage... certaines pathologies psy en viellisant ne s'arrangent pas, bien au contraire :)
Sois sûre de ta valeur, c'est tout.

[Manéta]

Sympa ce blog;).. Ces petites histoire à lire en fin de journée vont devenir mon nouveau rituel je crois:)

[Vanes]

lol... Cela m'étonne pas... Trés représentatif des réactions des patients pour avoir travaillé sur le terrain:)... On ne peut pas être à la fois jeune femme... et docteur.. C'est ainsi:).. Ba, cela devrait changer le siècle prochain avec la féminisation de la profession..