De la difficulté de cloisonner sa vie professionnelle.
Ce week-end, mes amis Yohanna et Mister N. sont venus me visiter. Moment bien agréable à papoter dans mon jardin, que j'ai tondu moi-même avec grâce et élégance le week-end précédent.
Mister N. a paru surpris et désapprobateur lorsque je lui ai expliqué saturer de devoir rester tard à l'hôpital. Pour lui, cela va de pair avec le métier de médecin de ne pas compter ses heures.
Cela m'a laissée assez perplexe quant à la vision de la profession, du point de vue des patients et des usagers du service public en général.
Une vision certainement biaisée par le stéréotype du médecin de famille quelques années en arrière: le médecin disponible jour, nuit, week-ends et jours fériés inclus.
La notion de vocation, avec sacrifice et don de soi implicites.
Quelques soucis en soirée m'ont redonné à réfléchir.
Du fait d'une réunion ayant amputé mon temps de travail d'heures précieuses cet après-midi, je suis restée plus longtemps dans le Service afin de conclure diverses tâches importantes. A 19h30, j'avais terminé mes missions et étais prête à partir.
Mon réfrigérateur est quasiment vide. J'avais techniquement le temps de faire quelques courses rapides et ciblées au supermarché.
Alors que j'avais presque réussi à m'échapper, le fils d'une patiente est venue s'interposer sur mon chemin tel un diable sortant de sa boîte.
"- Ah Docteur Loose, c'est bien que vous soyez là. Je voudrais faire le point sur l'état de santé de Maman. Je voulais savoir si..."
" - Je préfère vous voir demain, M. Obstacle. J'allais partir et je n'ai pas le temps de vous recevoir ce soir".
" - Mais vous êtes là! Je ne vous ai jamais vue depuis que ma mère est hospitalisée, et vous refusez de me recevoir!", me lance le gênant obstacle, plein d'un agacement à peine contrôlé.
Huit précieuses minutes perdues à gérer et recadrer M. Obstacle; parce qu'en fin de journée avec la fatigue et le stress des courses, je m'agace également facilement.
Il n'aura pas obtenu de faire le point sur sa mère; et je n'ai pas eu la possibilité de faire mes courses. On est quittes.
Malheureusement, la liste de désagréments de ce genre est longue.
Ma consoeur, le Dr Laguerrière, a reçu un appel de la fille d'une patiente sur son téléphone du domicile, pour évoquer ses inquiétudes concernant la sortie. La fille travaille comme secrétaire dans l'établissement, elle a donc eu des facilités pour récupérer nos coordonnées personnelles. Je ne pense pas qu'elle soit suicidaire au point de réiterer l'intrusion.
Il y aussi les familles de patients que l'on croise à l'extérieur de l'hôpital. Un jour, un indésirable a jugé adapté de m'importuner au sujet de son proche alors que j'étais en pleine sélection de pizzas au rayon surgelés du supermarché. Les gens n'ont peur de rien. A commencer par moi, en m'installant dans une petite localité comme Châteauvieux sur Fleuve où tout le monde est à risque de se rencontrer.
J'ai réussi à dresser une barrière solide et hermétique entre ma vie professionnelle, et l'autre partie de mon existence. Je réussis à me couper complètement de l'hôpital et de ses habitants dès que j'en franchis le seuil.
C'est juste que la réciproque n'est pas vraie. Les patients et leur famille n'ont pas envie de se couper du médecin, pour une nuit, pour un week-end.
Faudra que j'envisage de leur laisser une reproduction "stand-up" de moi en carton, si ça peut aider...
/http%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F54%2F87%2F872663%2F76536020_o.png)
/http%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F06%2F62%2F872663%2F65894850_o.jpg)
/http%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F28%2F31%2F872663%2F65836892_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fcedistic%2Fcamera.png)