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Faut pas faire médecine quand on a la guigne...
17 août 2012

Précision chirurgicale

Un jour, un de mes lecteurs répondant au nom d'Alternaute m'a écrit ceci:
"Dr Loose, heureusement que vous n'êtes pas chirurgien".

Tel une madeleine de Proust, ce constat ô combien vrai m'a ramenée quelques années en arrière.
Je me suis replongée dans les effluves iodées et autres scintillements d'aluminium d'autrefois. 
Me reviennent les cliquetis métalliques des instruments, les mots mainte fois entendus, résonnant avec une fermeté teintée de lassitude dans le semi-silence du bloc opératoire:
"Incision". "Bistouri". "Lumière"...

En fait, ma première mauvaise rencontre avec la Chirurgie a eu lieu au milieu de ma deuxième année d'éudes.
La Faculté de Médecine de LooseLand avait généreusement mis à notre disposition les corps de pauvres inconcients (c'est le cas de le dire...) ayant fait don de leur dépouille à la science.
(D'ailleurs, si le coeur vous en dit, ou les reins, ou le foie, les modalités sont ici. Une pléthore de futurs génies de la médecine vous remercie d'avance.)

J'ai donc écopé d'un monsieur suintant le formol par tous ses orifices (oui, tous) dont je devais disséquer la glande surrénale gauche; à savoir ôter tous les tissus et organes adjacents pour la mettre bien en évidence.
De manière fort accidentelle, j'ai découpé le côlon encore plein de substances douteuses. Sous l'effet de la surprenante projection sur mon visage de matières fécales formolées, mon scalpel a dévié de sa trajectoire, emportant avec lui la précieuse glande surrénale. 
Ce jour là, j'ai réalisé que je ne pourrais jamais être chirurgien.


J'aurais pu (et dû, pour le plus grand bien de l'humanité) arrêter là mes expérimentations. La Faculté en a décidé autrement.

Les étudiants en médecine, au cours de leur externat (soit entre la 4ème et la 6ème année d'études), doivent obligatoirement passer dans un service de chirurgie.

Plusieurs problèmes rédhibitoires se sont alors posés:

1) L'extrême matinalité de la tâche.
Si l'on n'est lève-tôt, il vaut mieux éviter d'être boulanger, anesthésiste-réanimateur, ou chirurgien.
Cela évite, notamment, de s'endormir contre la jambe d'un patient que l'on est sensé tenir en l'air (souvent l'unique tâche de l'externe au bloc opératoire d'ailleurs. Avec celle d'apporter un café au chirurgien et à l'interne entre deux interventions).

2) La chaleur infernale.
Après un réveil matinal vous imposant de sauter l'étape petit-déjeûner, imaginez-vous raide comme la justice, en train de tenir une jambe d'une lourdeur insoupçonnée, sous la lumière du scialytique.
Vous ne savez pas ce qu'est un scialytique? Mais si, cette grosse lampe au dessus de la table d'opération.

350px-Operating_theatre

Chaleur, sueurs... Plus efficace qu'un sauna avec plusieurs couches d'habits, de la tenue de bloc  la surblouse. Quand ce n'est pas le tablier en plomb lors des interventions nécessitant un contrôle radiologique (j'ai oublié une fois de mettre le tablier, d'ailleurs. Des années de psychose autour de mes ovaires irradiés...).
Arrive ce qui arrive, vous tombez dans les pommes. Enfin, plus exactement sur le sol du bloc opératoire, entraînant dans votre chute la table et le champ stérile où l'infirmière de bloc opératoire a placé avec soin les instruments chirurgicaux selon les habitudes du chirurgien. Grillée à vie, au propre comme au figuré...
Par la suite, j'ai été affectée au classement de dossiers dans le Service, pour mon plus grand bonheur.

3) Les difficultés à garder son sérieux en toutes circonstances
Je souris encore de la pléthore de patients qui, juste avant l'opération, me faisaient part de leurs belles illusions, comme par exemple Mme Rêveuse:
" - Comme je suis contente d'être opérée par le Pr Bistouri. C'est le meilleur, je n'aurais jamais accepté que quelqu'un d'autre que lui ne me prenne en charge!"

Et là, il s'agit de ne pas éclater de rire....
Il m'est venu de souhaiter un réveil éclair de Mme Rêveuse, le temps qu'elle puisse entrevoir l'interne explorer à tâtons son abdomen sous le regard docte du Pr Bistouri...

4) L'intérêt d'être latéralisée.
Quand on vous demande de badigeonner de Bétadine la cuisse droite, il est de bon ton de ne pas badigeonner la gauche.
Surtout quand la plaque du bistouri électrique est déjà appliquée sur la cuisse gauche du patient, histoire d'aider un peu à latéraliser. Loose, quand tu nous tiens...

 

C'est donc pour cause de maladresse extrême que j'ai décidé de priver à jamais la Chirurgie de mes grands talents.

De temps en temps, cependant, un patient se coupe; me contraignant à quelques points de suture que je maîtrise bien (merci les gardes aux Urgences...). Devant la qualité du travail fourni, j'ai même eu droit un jour à "Vous êtes douée, vous auriez dû devenir chirurgien!".
Tous les points ont lâché quelques secondes après, hélas...

 

 

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Commentaires
É
Aaaah la chirurgie : un monde à part!<br /> <br /> Vous êtes très bien auprès des patients "bien réveillés"!!!!
A
L'essentiel est de connaître nos propres limites non?<br /> <br /> Pour ma part, difficile de savoir ce que j'ai le plus détesté? Est-ce le microcosme étouffant de cette univers cloisonné? Ou bien le nom barbare des instruments que je devais ramener fissa en salle alors que je n'en avais qu'une vague représentation. Ou peut-être l'humeur des chirurgiens ? Bref, je travaille plus au bloc!
Faut pas faire médecine quand on a la guigne...
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